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Chez les drosophiles, le sexe à ses risques et périls

L’amour rend aveugle, c’est bien connu. Aveugle à la réalité de l’être aimé, s’entend. On s’excuserait presque d’apporter pareille précision. Pourtant, une étude publiée mercredi 28 août dans la revue Nature invite à considérer l’expression d’une tout autre façon. Dans une expérience réalisée sur les drosophiles, une équipe de l’université de Birmingham vient de montrer qu’au cours de la parade nuptiale les mâles deviennent insensibles aux indices visuels de présence d’un prédateur.
Il faut dire que chez les animaux, rester en vie et se reproduire, deux des buts mêmes de leur existence, s’avèrent souvent contradictoires. Des hamsters obligés de sortir de leur terrier pour trouver un partenaire aux oiseaux débordant de couleurs chatoyantes pour séduire leur belle, au risque dans les deux cas de se faire repérer par leur prédateur, l’arbitrage entre la menace et le gain s’impose à de nombreuses espèces. Humains compris. « Mais comment le cerveau évalue-t-il danger et récompense pour prendre la meilleure décision possible ? Nous en savons peu de chose », souligne Carolina Rezaval, neurogénéticienne à l’université de Birmingham et coordinatrice de l’étude.
Pour approcher cette question de portée générale, les chercheurs britanniques se sont penchés sur la drosophile, ou la mouche du vinaigre, une des chouchous du labo depuis des décennies. Chaque recoin de son génome a en effet été exploré. Les mâles offrent en plus l’avantage de pratiquer un rituel de séduction particulièrement stéréotypé : le courtisan se tourne d’abord vers l’objet de son désir, le poursuit, lui tapote l’abdomen pour détecter les phéromones, puis entame une sérénade en faisant vibrer ses ailes. Enfin, dernier stade avant de passer à l’acte, il plie son abdomen. Cette séquence pouvait-elle rythmer la perception du danger chez les jeunes don Juan ?
L’équipe de Birmingham a donc conçu une menace artificielle, sorte de prédateur fait d’ombre et de lumière. « En temps normal, les drosophiles y réagissent par la fuite ou l’immobilité », décrit Carolina Rezaval. Dans le cerveau, l’un des principaux messagers est la sérotonine. Parfois qualifiée chez l’humain d’« hormone du bonheur », elle pilote chez les mouches des neurones particuliers associés au stress et à la peur. Ce qui a pu être vérifié et détaillé grâce à l’optogénétique, cette technique qui permet d’activer ou d’inhiber un neurone par un flash lumineux.
Encore fallait-il pouvoir suivre le phénomène pendant toute la durée de la cour. En ouvrant une minuscule fenêtre dans la boîte crânienne des mâles, les scientifiques ont pu observer en temps réel, au microscope, la réaction des neurones à la présentation de l’ombre menaçante. Avec un résultat spectaculaire : pendant les premières étapes, le mâle reste réceptif au danger. Mais, une fois qu’il plie son abdomen, plus rien ne compte. « Son cerveau est si concentré sur la reproduction que cela prend le dessus sur l’instinct de survie, insiste Carolina Rezaval. La force avec laquelle la dopamine bloque alors la perception du danger nous a vraiment étonnés. »
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